Avant la Manufacture
La Manufacture des Tabacs est un bâtiment emblématique de Morlaix. Nous avons cette impression tenace qu’elle se dresse le long des quais depuis un temps immémorial. Il n’en n’est rien. Il y a 300 ans le paysage était bien différent.
À la fin du XVIIe siècle une première Manufacture des Tabacs s’installe au manoir de Pen-an-Ru. Mais dès les années 1730 la compagnie fermière, en l’occurrence la Compagnie des Indes qui détient le monopole de la Ferme du Tabac, recherche un emplacement plus pratique pour la construction d’une nouvelle manufacture. Elle jette son dévolu sur un marais nommé « Palud Marant ».
Deux plans de la rivière de Morlaix datés de 1727 et 1734 permettent d’apprécier ce lieu. Réalisés pour l’alignement et la restructuration des quais, ces plans donnent une image que l’on suppose fidèle du marais, des bâtiments, jardins… qui existaient avant la Manufacture. Le palud Marant est qualifié en 1727 de marais « journellement baigné de la mer ». Il fait partie du Domaine du roi. Guillaume Le Jean, historien du XIXe siècle, qualifie cet endroit de « fangeux réceptacle de la partie la plus crapuleuse de la population morlaisienne » ! Cette « Cours-des-Miracles morlaisienne », insiste encore notre auteur, n’a pas bonne presse. Mais est-ce la vérité ou une interprétation d’écrivain ?
À côté de ce palud s’élève à l’intérieur d’une enceinte des bâtiments, des jardins, une allée. C’est le Clos-Marant propriété d’un certain M. Tronjoly. Il s’agit de Sébastien Corentin de Moëlien, chevalier seigneur de Tronjoly (1663-1736). Il achète le manoir du Clos-Marant et ses dépendances pour la somme de 7 000 livres en 1728. Selon certains auteurs le palud, et donc le Clos, doit son nom à un nommé Marant qui avait défriché la partie la plus haute de ses terres et y avait construit une petite maison : le Clos-Marant. En 1693 le domaine est vendu au sieur Poquelin, curé de son état, puis au sieur de Tronjoly qui n’avait pas bonne réputation : homme retors il fait jouer la concurrence entre la ville de Morlaix, désireuse d’acquérir le lieu pour prolonger les quais de la ville, et la Compagnie des Indes. Il fait monter les enchères. Souhaite vendre. Se dédie. Finalement une ordonnance l’oblige en 1734 à céder son bien à la Compagnie pour 26 000 livres. Belle plus-value !
En 1736 Jean-François Blondel dresse les plans de la future Manufacture Royale du Tabac. On connaît la suite.
Illustrations : La rivière de Morlaix, 1727 et 1734
© Archives municipales de Morlaix