1920. Les trains de la discorde
Avril 1920. Une tempête drosse à la côte le sloop Baronne provoquant la mort d’un marin. Les ferblantiers se mettent en grève. Othello est joué au théâtre. Une nouvelle voie de chemin de fer vers La Feuillée est en discussion. À la fin du mois une cinquantaine d’habitants des places Thiers et Cornic écrivent au sous-préfet pour se plaindre de nuisances aujourd’hui inimaginables.
En 1912 une ligne départementale exploitée par la Compagnie des Chemins de fer Armoricains partait du pied du viaduc pour continuer sa route vers Primel ou Plestin faisant, sans doute, le bonheur des voyageurs. Mais pas des riverains des places Thiers et Cornic. Ceux-ci adressent une pétition au sous-préfet pour dénoncer « les fumées produites par les locomotives (…) particulièrement durant leurs stationnements sur les places ». On imagine cette fumée noire et épaisse s’échappant des locomotives à vapeur et obscurcissant le ciel morlaisien. Impensable aujourd’hui, cette pollution était acceptable il y a un siècle. Jusqu’à un certain point.
Mises sous le boisseau durant les années de guerre car « estimant que chacun devait supporter sans se plaindre les inconvénients découlant (…) des évènements », le retour aux réalités quotidiennes fait ressurgir les anciens griefs. Ces locomotives stationnent sur la place Cornic. Elles « émettent une fumée âcre, sulfureuse, encore plus pernicieuse (…) que celle qui s’échappe en volutes énormes lorsque les machines sont en partance sur la place Thiers ». « Ces fumées, même lorsque les fenêtres sont tenues fermées, pénètrent à l’intérieur des appartements par les moindres interstices. Les cuivres, les étoffes sont attaqués par les acides qu’elles contiennent ». Mais surtout « elles influencent (…) les affections des voies respiratoires » et « empêchent (…) l’ouverture des fenêtres ». Ce fait « antihygiénique » pose des problèmes à l’approche de la belle saison.
Les pétitionnaires proposent de déplacer ces locomotives sur les voies de garage du Styvel « dès qu’elles ne sont plus nécessaires en ville » et que les départs des trains « aient lieu aux heures fixées et non avec des retards aussi fréquents que considérables »… Ils proposent également de doter les locomotives de « fumivore ». Dans sa séance du 15 juin le conseil municipal appuie les réclamations des habitants pour mettre fin à une situation « qui n’a que trop duré ».
Fin août M. Becque, directeur de l’exploitation, réponds à la pétition : « il est difficile de satisfaire aux exigences des pétitionnaires ». L’exploitation de la voie prime et rien de peut empêcher l’utilisation « des voies et autres installations pour le passage et le séjour » des locomotives. Tout juste consent-il à garer les machines au Styvel. Mais le directeur est clair : il ne souhaite pas que cette « conciliation » créée un précédent, car le maintien « rigoureux de la journée de 8 heures du personnel » notamment peut obliger la Compagnie à garder les machines en ville.
La fermeture de la ligne une dizaine d’année seulement plus tard apportera une résolution définitive à ces désagréments.
Illustrations : 1) Départ du train vers la mer, années 1910 ; 2) La gare du Styvel, années 1910
© Archives municipales de Morlaix