L’étrange périple d’un enfant de la Révolution.

27 juillet 1798, 11h du soir. Un garçon de 10 ans frappe à la porte du château de Keranroux à Ploujean. Le garçonnet est présenté au propriétaire du lieu. La surprise passée, on sent poindre dans les yeux de ce dernier l’émotion car « à sa figure (…) et à ses caresses » il reconnait son petit-fils ! Mais un autre sentiment l’assaille : Que fait-il à ma porte ?

 Periple 1

Le châtelain se nomme François de La Frugalye, 68 ans, notable de Ploujean et de Morlaix. Il recueille ce soir-là Jacques Marie Paul Le Cardinal fils de sa fille Rose et de Louis Le Cardinal marquis de Kernier. On comprend la surprise du patriarche car sa fille et son gendre ont émigré au début de la Révolution vers l’Angleterre (le père meurt à Londres en 1799). Le marquis combat dans l’armée des Princes, une armée contre-révolutionnaire. Ainsi, même au crépuscule de la Révolution, la suspicion est loin d’être éteinte : On interroge le garçon, fils d’ennemis à la Nation, revenu seul jusqu’à Ploujean. La chose interroge, à juste titre. On se méfie d’autant plus que M. de la Fruglaye a eu maille à partir avec les autorités ploujeannaise. Il fut inquiété en 1795 pour l’organisation de messes clandestines.

Retranscrit dans les registres de délibérations de Ploujean, Jacques relate à l’agent venu l’interroger qu’il « a été jetté de nuit sur les côtes de France, les premiers jours du mois de mai dernier par une petite embarquation venant de Jersey ». Le matelot le conduit chez un cultivateur à une lieue de la mer. De ce cultivateur le garçon « a été chez quelqu’autres ». Le voyage se faisant toujours de nuit, il ne peut identifier les lieux. Le but semble-t-il est de le maintenir cacher et non de le ramener à son grand-père. Mais l’un des complices « se rendant à ses cris et à ses insistances » se résout à le conduire jusqu’à Saint-Brieuc où il est confié à un voiturier allant à Brest. Celui-ci, prénommé Guillaume, le conduit jusqu’à la porte du jardin de Keranroux. On n’en sait guère plus. Le récit prend fin et laisse songeur. Il soulève plus d’interrogations qu’il n’en résout. Comment un garçon de 10 ans a pu accomplir ce voyage et pourquoi ses parents l’ont renvoyé en Bretagne, seul et dans quel but ? Jacques ne le dit jamais, ne donne jamais d’explications. Le sait-il d’ailleurs ?

Jacques deviendra marquis de Kernier et lieutenant au 2e régiment d’artillerie à cheval, il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1809. Il meurt en 1870 sans apporter de réponses à son périple de l’été 1798.

Periple 2

 

Illustrations : 1) Château de Keranroux, vers 1910 ; 2) Vue du château de Keranroux, non datée. Lithographie de V. Guilmer

 

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