Les Acadiens, 260 ans après
L’Acadie est le nom donné par les Français à un territoire situé dans la partie orientale du Canada et qui correspond aujourd’hui aux provinces de la Nouvelle-Ecosse, du Nouveau-Brunswick et de l’île Edouard. Cette première colonie française en Amérique du Nord est fondée en 1604 par Samuel de Champlain. En 1713 le traité d’Utrecht, qui met fin à la guerre de succession d’Espagne, concède l’Acadie à l’Angleterre qui devient la Nouvelle-Ecosse. La France ne conserve que l’île Saint-Jean (actuelle île Edouard) et l’île Royale (actuelle île du Cap-Breton). Les Acadiens persécutés par les Anglais émigrent alors vers ce qui reste des colonies françaises.
Juin 1763. Anastasie Prudence Granger est portée sur les fonts baptismaux de l’église Saint-Mélaine. L’enfant, née le 17 mai en Angleterre, est la fille de Mathurin et de Geneviève Theviot originaires de la paroisse Saint-Pierre en Acadie. D’autres jeunes Acadiens seront baptisés à Morlaix en 1763 et 1764. Que viennent faire nos lointains cousins américains à Morlaix ?
Retour en arrière. 1756, la guerre de Sept ans éclate entre les grandes puissances européennes. Le conflit s’étend rapidement aux colonies. Déjà en 1754 et en 1755 de premières escarmouches éclatent entre Français et Anglais. Les territoires frontaliers de la Nouvelle-Ecosse sont progressivement annexés par les Anglais. Les Acadiens qui refusent l’allégeance à la couronne britannique sont déportés vers la Nouvelle-Angleterre (nord-est des Etats-Unis). Mais la Virginie refoule environ 1 200 de ces déportés. Ils sont alors rembarqués vers l’Angleterre. Après une traversée pénible à fond de cale, les 1 048 survivants sont débarqués à Falmouth, Bristol, Liverpool et Southampton où ils resteront prisonniers durant sept années. En 1759, 3 500 Acadiens sont renvoyés en France dans le cadre d’un échange de prisonniers. En 1763 le traité de Paris signe la fin de la guerre de Sept ans. La paix revenue, ils sont libérés et conduits dans les ports de Morlaix ou de Saint-Malo. Le 26 mai 1763, 159 Acadiens embarquent à Falmouth (Cornouaille anglaise) à bord de la flûte du roi La Fauvette. Le 7 juin 225 prisonniers acadiens de Liverpool s’embarquent sur la gabare L’Esturgeon. 384 Acadiens (77 familles) débarquent ainsi à Morlaix le 10 juin 1763 dans un dénuement quasi total.
Si le gouvernement français est indécis quant au sort à leur réserver, ils sont bien accueillis par les autorités locales. Le maire se dépense sans compter pour leur trouver des logements dans les casernes de la ville « vu la difficulté pour ne pas dire l’impossibilité de les loger chez l’habitant ». Le 1er juillet 1763 le maire reçoit une lettre du duc d’Aiguillon qui « approuve infiniment (…) le zèle avec lequel vous vous êtes porté à procurer aux Acadiens qui ont débarqué à Morlaix tous les secours qui dépendoient [du maire] ». En novembre l’instruction gratuite est donnée aux enfants.
En parallèle, des projets sont élaborés pour trouver de nouvelles terres à ces Acadiens morlaisiens. Début 1764 24 familles sont choisies pour rejoindre Cayenne en la compagnie de l’abbé Coquard, ancien Acadien et curé de Saint-Mathieu. Le sieur Salaün de Kerbanalec, armateur et négociant morlaisien, offre dès le mois d’avril 1764 de mettre à la disposition des autorités Le Postillon. Mais le projet est avorté quelques mois plus tard.
Le roi Louis XV s’apitoie sur le sort de ces Acadiens dispersés et décide de les installer à Belle-Ile-en-mer récemment revenue dans le giron français après 2 ans d’occupation anglaise. Dès le mois d’octobre 1763, les commissaires des Etats de Bretagne proposent de faire passer à Belle-Ile les 77 familles acadiennes de Morlaix avec de nombreux avantages (matériaux pour bâtir les maisons, bestiaux, outils…). Une partie des familles refusent. Choiseul choisit alors l’abbé Le Loutre comme médiateur. En janvier 1764 il se rend à Belle-Ile avec trois chefs de familles acadiens de Morlaix, Honoré Le Blanc, Joseph Trahan et Simon Granger pour juger des conditions d’installation. L’abbé Le Loutre arrive à Morlaix pour décider les Acadiens à accepter d’embarquer pour Belle-Ile. Le 27 février 1764, 55 familles sont prêtes à partir sur la gabare n°69 du capitaine Petit. Ils débarquent sur l’île le 30 octobre 1765. Celles qui restent à Morlaix demandent en décembre 1766 des landes en Bretagne et en septembre 1775 des terres du roi, en vain. Après des années de mauvaises récoltes, et peut-être aussi pas le souhait de retrouver leurs familles, certains Acadiens partis vers Belle-Ile retournent à Morlaix, dans l’espoir d’y trouver une meilleure situation. Ce qui fait dire à certains auteurs que « le greffon acadien n’a que partiellement pris ».
D’après un « état général » des Acadiens en France daté de 1772, 166 d’entre-eux résident à Morlaix. Pendant la guerre d’indépendance américaine (1775 – 1783), les Acadiens forment les équipages des navires corsaires morlaisiens. Le Blanc, Trahan, Blanchard servent sur Le Comte-de-Guichen commandé par Nicolas Authon, époux d’Elizabeth Terriot, une Acadienne. François-René Granger sert sur de nombreux navires corsaires. Jean-Baptiste Hébert se distingue à bord de L’épervier. En 1822 on dénombre encore 33 Acadiens à Morlaix : une Cormier avec 7 enfants, un Leblanc et une Hébert avec quatre enfants, deux autres Hébert avec trois enfants chacun, deux Richard, une Thériot… En 1820 nous retrouvons dans les archives la trace de descendants d’Acadiens installés à Ploujean. Le département du Finistère demande au maire de la commune de certifier de l’état de leur pauvreté pour qu’ils puissent recevoir l’aide qui leur est due. On trouve ainsi Joseph Le Blanc, âgé d’environ 43 ans, garde champêtre de Ploujean, sa sœur Marguerite Victoire Le Blanc, âgée d’environ 45 ans, infirme et Marie Josephe Levron, âgée d’environ 35 ans. A noter que les témoins de moralité sont Simon-Paul Le Blanc, payeur de la guerre et receveur municipal de la Ville de Morlaix et Eustache Grégoire Victoire Le Blanc, chef de fabrication de 1ère classe à la manufacture royale de tabacs.
Et notre Anastasie me direz-vous ? Peut-être affaiblie par les dures conditions de vie vécues par ces parents, elle meurt à seulement 15 mois le 29 juillet 1764.
Illustration : Carte réduite des côtes de l'Acadie en 1751
© Archives municipales de Morlaix